A quel moment précis réalisez-vous que vous êtes champion olympique ?Alain BERNARD : Quand je me retourne et que je vois sur le tableau d'affichage le 1 à côté de mon nom. Là, je réalise que j'ai gagné et je me dis : "Ça y est, je l'ai fait ! J'ai gagné la finale !" Je pensais surtout à moi à ce moment-là, car c'est moi qui l'ai fait. Et personne d'autre. Ca ne serait jamais arrivé si je n'étais pas si confiant en moi et bien dans ma tête. C'est énorme. Après, je ne sais plus trop ce qui se passe. Il y a tellement de choses qui se concrétisent en si peu de temps.
Quelles pensées traversent votre esprit au cours de cette course ?A.B. : A aucun moment, je me suis senti perdre ou abattu. J'ai essayé de rester maître de la course et en même temps, de moi-même. Que ce soit au départ, au virage ou même à un mètre du mur, je me disais : "Tant qu'on n'a pas touché, on n'a pas perdu. Et tant qu'on n'a pas touché, on n'a pas gagné." Le relais m'a servi de leçon. Cette défaite m'a beaucoup touché. M'être fait doubler, ça m'a vraiment secoué. J'aurais très bien pu sombrer, ne pas être capable de réagir et faire derrière une compétition moyenne. Mais après tout le travail accompli ces dernières années, il n'était pas question que je me laisse abattre. Il fallait que je me remette tout de suite dedans dès les séries. C'est une grosse victoire sur moi-même. D'habitude, je ne suis pas très fort au niveau mental. J'ai clairement progressé dans ce domaine.
Quelles sont les personnes qui ont activement participé au rétablissement de votre moral après votre "contre-performance" dans le relais ?A.B. : Il n'y en a pas beaucoup. Mon entraîneur (Denis Auguin), avant tout. Il m'a dit que ce n'était pas de ma faute. Que je ne devais pas prendre autant cette défaite à coeur car on est quatre à l'avoir perdu. Et que je devais rester moi-même jusqu'au bout pour m'aider à me relever. Ca m'a remis d'aplomb.
Qu'avez-vous envie de lui dire, justement ?A.B. : Merci, merci de croire en moi, merci de ne pas me juger sur mon niveau de performance. Quoiqu'il arrive et même si j'étais arrivé troisième, cinquième ou septième de cette finale, il a su trouver les mots en me disant qu'il ne me jugerait pas là-dessus dès l'instant que j'avais fait le maximum. Il y a très peu d'entraîneurs comme ça.
Comment vous sentiez-vous sur le plot de départ ?A.B. : J'avais les jambes qui tremblaient. Quand le starter a dit : "A vos marques », j'ai vu ma jambe gauche qui s'est mise à trembler. Je me suis dit : "Put…, c'est mal barré !". C'était la première fois que je ressentais un stress aussi fort. J'étais beaucoup plus décontracté avant les séries et les demi-finales, même si je dois avouer qu'en séries, j'étais un peu tendu car je souhaitais vite retrouver de bonnes sensations après les quinze derniers mètres ratés de mon relais.
Avez-vous réalisé la course souhaitée ?A.B. : Oui, puisque j'ai gagné ! A aucun moment je ne voulais me sentir surpassé, en retrait ou incapable de réagir. Même si je commence à avoir mal aux 80-85 mètres, je me dis : "Accroche-toi ! Accroche-toi ! Ne te désunis pas ! Reste en ligne". J'ai simplement respecté les consignes de Denis (Auguin, son entraîneur) quand il me disait de ne pas m'affoler.
A quel moment vous sentez que vous touchez au but ?A.B. : Dans les cinq derniers mètres. Mais tant que je n'avais pas touché, je savais bien que ça ne serait pas gagné. Je l'avais déjà vécu avec le relais où je m'étais vu devant avant d'être dépassé.
Qu'est-ce qui fait la différence avec Sullivan ?A.B. Je ne sais pas. C'est tellement infime et dense. Ça se joue à pas grand-chose. Dans cette finale, j'avais des adversaires énormes. Le niveau était très relevé. On ne pouvait pas dire d'avance qui allait gagner. C'était la grosse bagarre. On était tous au top physiquement. Dans ces conditions, je suis vraiment fier d'avoir touché le premier.
Comment expliquer que le record du monde n'ait pas vacillé une nouvelle fois ?A.B. : Je pense que c'est dû à une part de stress et de pression. Mais aussi d'incertitude car on ne sait pas si ça va marcher comme on veut. Si le corps va réagir aussi bien que lorsqu'on est à l'aise en série ou en demi-finale. Il faut contenir tout cela. Le chrono m'était égal. Je voulais juste toucher le premier. Je n'avais pas envie de perdre parce que je n'aime pas perdre, tout simplement. Depuis le début de l'année, je n'ai d'ailleurs perdu que deux fois sur 100 m (contre Gilot et Magnini).
Sullivan, Van den Hoogenband ou encore Lezak sont immédiatement venus vous féliciter. Peut-on parler d'esprit de camaraderie entre vous tous ?A.B. : Je ne sais pas si on peut parler de camaraderie. Comme c'est du sport, je pense qu'il s'agit plutôt de fair-play. Quand je me fais battre par Jason Lezak, je le félicite parce que je reconnais vraiment sa performance. Quand je bats Eamon Sullivan, il me félicite, et vice versa. Si on nie les autres ou on les rabaisse, je ne pense pas que ce soit très sain. Ce fair-play doit rester une des valeurs sûres de notre sport parce qu'un jour, on peut être le meilleur. Et dès le lendemain, être battu.
A quoi vous attendez-vous à votre retour en France ?A.B. : J'ai une petite idée de ce qui m'attend. Ça me fait plaisir parce que ça ne doit pas être trop désagréable, je pense. Je m'attends à quelque chose d'énorme. Il risque d'y avoir pas mal de retombées médiatiques, mais je ne vais pas m'en plaindre. Il y a pire dans la vie. J'ai envie d'en profiter vraiment à fond parce que ça n'arrive pas tous les jours. Mais dès ce jeudi après-midi, je vais avant tout bien récupérer car il y a encore une course à disputer sur 50 m et avec le relais 4x100 m 4 nages.